Analyse des déplacements

L’exploitation des observations d’un récepteur GNSS permet d’obtenir, sur un certain temps d’observation, des coordonnées dans un système de référence donné – qui peut être celui des orbites utilisées pour le calcul (c’est le cas lors d’un calcul en mode Precise Point Positioning) ou celui des stations de référence (c’est le cas lors d’un calcul différentiel) – et à une époque donnée. L’accumulation de positions issues par exemple de stations GNSS permanentes permet donc de former des séries temporelles. Lorsque ces séries temporelles s’expriment dans un système de référence global comme l’ITRS et ses diverses réalisations (ITRF2008, 2014…), elles permettent de déterminer les déplacements d’un point caractéristique (point géodésique au sol ou, le plus souvent, point de référence de l’antenne GNSS) par rapport au centre des masses de la Terre, qui est l’origine des repères ITRFs.

Système de Référence Terrestre

Lorsque l’on regarde de plus près le contenu de ces séries temporelles en Est, Nord et Verticale lorsqu’elles sont exprimées dans un système de référence global donné, on se rend compte que les composantes horizontales sont dominées par une tendance séculaire de plusieurs cm/an : celle-ci correspond à la vitesse de déplacement locale de la plaque tectonique. Toutefois, tous les points situés sur une même plaque ne déplacent pas à la même vitesse, en fonction de leur position notamment par rapport au pôle de rotation de la plaque tectonique. Le contexte local, s’il est spécifique (mouvements de terrain, volcanisme, hydro-géologie…) peut également expliquer une partie, moindre, des vitesses de déplacement horizontales des stations.

Quelques exemples de séries temporelles de stations GNSS dans différents endroits du monde. Les composantes Est et Nord y sont dominées par une tendance, la composante verticale comporte parfois une vitesse (associé, par exemple, au rebond post-glaciaire) ou un effet saisonnier marqué.

Les vitesses sur la composante verticale, elles, sont plus délicates à interpréter, d’une part parce que la composante tectonique y est plus faible voire nulle, d’autre part parce que la plupart des autres sources de déplacement impactent principalement cette composante, et enfin parce que la verticale est plus sensible à tous les postes d’erreur qui affectent le positionnement GNSS. Les vitesses verticales, lorsqu’elles sont significatives, suivent parfois des tendances régionales : ainsi, en Scandinavie ou dans le nord du Canada, l’effet de rebond post-glaciaire explique des vitesses verticales positives de plusieurs mm/an. Lorsque, pour une même station GNSS, la vitesse de déplacement change clairement indépendamment de la méthode de calcul, la raison est à chercher en fonction du contexte local : c’est le cas pour les stations de Mayotte où la vitesse sur les 3 composantes (Est, Nord et Verticale) change radicalement dès le début de la crise tellurique en mai 2018.

Séries temporelles de MAYG en IGS, avec rupture de pente très nette en juin 2018.

Le deuxième type de déplacement clairement identifié dans les séries temporelles correspond aux sauts de coordonnées : c’est le cas lorsque la coordonnée change instantanément. L’amplitude de ce saut peut aller de quelques millimètres à quelques mètres en fonction de son origine. Il peut s’agir d’un saut associé à un séisme, dont l’effet sur la coordonnée dépendra de la magnitude, de la profondeur, de la distance et de la position du capteur GNSS par rapport à l’épicentre du séisme : on parle alors d’effet co-sismique. Une origine encore plus courante de ces sauts est un changement de matériel (en particulier un changement d’antenne dont les centres physiques – appelés ARP – peuvent différer de quelques mm à quelques cm) : les coordonnées ne se réfèrent alors plus tout à fait au même point. Divers autres facteurs environnementaux (masques, bâtiments) ou un changement dans les paramètres ou la méthode de calcul peuvent expliquer de faibles sauts (quelques mm).

Séries temporelles (source Université du Nevada http://geodesy.unr.edu/) de la station de MRTG (Maré) affecté par des séismes lointains mais réguliers en 2016, 2017 et 2018, plus significatifs sur la composante Est

Pour les séismes les plus importants, les séries temporelles de coordonnées sont affectées par des effets dits de relaxation post-sismique : la déformation associée au séisme a alors été tellement forte que la croûte terrestre met un certain temps à retrouver son état et sa vitesse d’origine. L’amplitude de cet effet, appelé post-sismique, ainsi que son temps de relaxation caractéristique, dépendent des mêmes facteurs que l’amplitude de l’effet co-sismique mais également de la nature des sols.

Effets co et post-sismique sur une station japonaise lors du séisme de Tohoku, ici sur la composante verticale

Lorsque l’on retire les vitesses et les sauts, qu’ils soient d’origine sismique, instrumentale ou environnementale, les séries temporelles de déplacements GNSS sont dominées, surtout sur la composante verticale, par des mouvements saisonniers dont l’amplitude peut varier de quelques mm à plusieurs cm. Ces mouvements saisonniers sont avant tout présents à une période annuelle, mais ils existent parfois à d’autres périodes ou pseudo-périodes caractéristiques (semi annuelles, interannuelles..). Ces déplacements sont avant tout d’origine hydrologique et associés aux redistributions des masses d’eau entre l’hydrologie continentale, les océans et l’atmosphère, en fonction des saisons. Toutefois, les effets de dilatation thermique saisonnière des monumentations ou des bâtiments, de gonflement du sol ainsi que la majorité des effets locaux d’origine hydro-géologique ou encore les erreurs liées à l’effet draconitique des orbites GNSS ont tous en majorité une signature annuelle ou quasi-annuelle dans les série temporelles et affectent surtout la verticale.

Série temporelle (source : Université du Nevada) sur la station de PAIT en Amazonie : l’effet annuel sur la composante verticale dépasse 6 cm.

Dans le cas des stations GNSS permanentes de Mayotte, la tendance linéaire qui était stable depuis l’installation des stations (celà est surtout visible pour MAYG, les autres stations ayant été installées peu avant le début de la crise tellurique) change brusquement, surtout sur les composantes Est et verticale, dès le début de la crise en juin 2018. L’effet co-sismique associé aux premiers séismes est faible (quelques mm). Le changement de vitesse est net (jusqu’à 2 cm/an de différence en Est, 1.2cm/an en verticale mais moins de 0.2 mm/an en Nord), et, la composante verticale (de vitesse quasi-nulle avant juin 2018) est elle aussi soumise à ce changement et est désormais affectée par une vitesse qui peut, selon les stations dépasser 1 mm/an. Sur la station de MAYG, cet « enfoncement » correspond à l’effet cumulé, en 8 mois, de 15 à 20 ans d’élévation du niveau de la mer tel que mesuré sur le marégraphe de Dzaoudzi (https://www.sonel.org/spip.php?page=maregraphe&idStation=1903)